La Guerre populaire selon Mao et Giap
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La Guerre populaire selon Mao et Giap
Extrait de mon livre à paraître Le fer et l'aiguille, 2200 ans de relationssino-vietnmaiennes tumutueuses
Le Viêt Minh a appliqué tous les principes de la « guerre populaire », résumés par le fameux slogan « Être parmi le peuple comme un poisson dans l’eau. ». S’il est vrai que Mao a eu le génie de comprendre que, contrairement à la thèse russe de la révolution prolétarienne, dans un pays où la paysannerie constitue la grande majorité de la popu-lation, c’est elle qu’il faut « travailler » ; ce n’est pas lui qui a inventé les principes de la guérilla, qui sont immémoriaux et bien connus des Vietnamiens puisqu’ils l’ont appliquée pendant près de 1000 ans contre… les envahisseurs chinois, il les a seulement perfectionnés et codifiés. La guerre populaire se déroule en trois phases, bien connues des cadres Viêt Minh, car les écrits de Mao et de Liu Shao-qi ont été traduits en vietnamien et leur lecture rendue obligatoire pour les cadres du Parti et les officiers généraux.
La première phase consiste à s’installer dans des base inexpugnables et d’y mobiliser toute la population, de gré ou de force. Dans son livre Guerre secrète en Indochine – Les maquis autochtones face au Viêt Minh – 1950-1955 - Lavauzelle, qui en explique ses principes de base très bien au début le lieutenant-colonel Michel David écrit au sujet des bases de guérilla : " Dans la terminologie de la guerre révolutionnaire selon Mao Tsé Toung, une « base » est un endroit sûr où la complicité de la population assure au guérillero sa sécurité tout en contribuant à satisfaire ses besoins logistiques. Au plus petit niveau, une base peut être constituée par une seule famille sympathisante ou un hameau. Au niveau le plus élevé, il peut s’agir d’une région entière de zone de refuge ou d’arrière aux forces combattantes. "
Quant à la population, il faut la mobiliser dans son intégralité – aucune exception - et vivre en son sein, comme l’explique le colonel Nemo :
" La guérilla, comme la contre-guérilla, est une lutte dans l’épaisseur de la population. Son terrain est davantage le terrain social que le terrain physique… À la base de toute guérilla et de toute contre-guérilla, il y a la science de l’homme et cette appréciation, moins rigoureuse, plus subtile et plus fine, des rapports de l’homme avec son milieu… La force de la guérilla est d’utiliser l‘homme dans son cadre habituel, dans cet horizon où tout lui est connu, tout lui est complice, où tout l’aide pour remplir sa mission. " (Colonel Nemo - L’Organisation de la guérilla et le rôle des forces régulières - Revue Militaire Générale n° 4, 1957). Les bases du Viê Minnh sont, au Tonkin, le quadrilatère Cao Bang (dès 1942)-Bac Kan-lac Babe-Thâi Nguyên, la région de Yen Bai, celle au nord-est de Lang Son et, plus tard, les grands massifs forestiers du Ba Vi, du Tam Dao et du Đong Triêu tout près de Hanoï. Au centre, les provinces du nord et du centre de l’Annam ; en Cochinchine, les immenses marécages de la plaine des Joncs et les tunnels de Cu Chi, les deux centres à seulement 80 km de Saïgon que ni les Français, ni les Américains ne parviendront à contrôler, pas plus qu’à l’extrême pointe sud, la péninsule de Ca Mâu, où les Viêt Minh et plus tard les Viêt Cong seront aussi inexpugnables.
Il faut qu’il y ait parfaite symbiose entre le Parti, l’armée et le peuple, qui doit renseigner, protéger, abriter, nourrir les combattants et fournir des troupes. comme l’a établi Mao en écrivant : « Le peuple et le peuple seul est la force motrice dans la construction de l’histoire du monde… C’est le peuple, non les choses, qui est décisif. » Le Viêt Minh a su réunir les trois conditions sine que non pour assurer le succès d’une guerre populaire : représenter les intérêts du peuple en lui garantissant la réalisation de leurs souhaits légitimes de bonheur et de prospérité (comme nous le verrons, aucun ne sera réalisé) ; mobilisation des masses et unité de commandement ; un seul de ces éléments manque et la guerre ne peut pas être gagnée. L’unité de commandement est faite dès le début ; la conquête des masses a été de beaucoup plus grande haleine ! Il fallait les conquérir et les motiver. Le moyen est simple : susciter chez le peuple la haine du Français tout en lui promettant des réformes populaires, puis le préparer à l’insurrection armée. Mais la tâche est loin d’être facile ! Le Viêt Minh convainc aisément les sympathisants du communisme, tous les opprimés et ceux qui sont excédés par les brimades et les humiliations subies de la part des Français. Mais il faut embrigader toute la population. Or, l’ennemi n’est pas uniquement français. Il y a tout d’abord les opposants vietnamiens au communisme, à commencer par les membres des partis nationalistes non-communistes tels que le V.N.Q.D.D. et les mandarins collaborant avec les Français ; une grande partie de la paysannerie, parmi laquelle règne son universelle méfiance envers les nouveautés et que rebute la volonté du Viêt Minh de bouleverser des structures et des mentalités millénaires : collectivisation des terres, mise en place de comités supplantant les chefs de village, alors que les très traditionnalistes nhà quê acceptent difficilement qu’un commissaire politique supplante le chef de village qu’ils ont élu, fermeture progressive des édifices religieuse, la religion étant, comme l’a écrit Marx, « l’opium du peuple » ; il y a également les Montagnards qui, ne l’oublions pas, vivent tout le long de la frontière chinoise et en Annam et ont toujours détesté les Viêt ; tous les Vietnamiens « tièdes », qui adoptent une attitude d’extrême prudence, car ils craignent le retour des soldats français et les sanglantes représailles d’antan en cas de rébellion ; dans Le Chien de Mao (le Chien, c’est l’infernale épouse du Grand Timonnier), Lucien Bodard écrit : « Encore plus que des ennemis, il faut savoir se débarrasser des mous et des incertains ; la tiédasserie est la menace la plus grave. » Il y a également les Vietnamiens pro-français, bien plus nombreux que ne le prétendent les livres d’histoire officielle vietnamiens. Devant toutes ses oppositions, la persuasion par la force a été très souvent indispensable.
Le Viêt Minh doit donc convaincre ou imposer. On convainc par des explications infiniment répétées sur le communisme. La propagande est intense, appliquée selon le principe de base si bien résumé par Hitler dans Mein Kampf : « La faculté d’assimiler de la grande masse n’est que très restreinte, son entendement petit, par contre, son manque de mémoire est grand. Donc, toute propagande efficace doit se limiter à des points peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées aussi longtemps qu’il le faudra, pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée. » Les points de la propagande Viêt Minh sont simples : lutte contre l’impérialisme, indépendance – le fameux Đoc Lap répété ad vitam aeternam - et établissement du socia-lisme populaire. On promet au peuple, essentiellement agricole, la redistribution des terres cultivables, la suppression de l’impôt foncier, celle des baux de location de terres, et l’expropriation des propriétaires terriens français et des gros propriétaires vietnamiens. Quel paysan dépourvu de tout peut s’opposer à un tel programme ? La propagande a un côté très moralisateur s’opposant à la corruption des mandarins et des fonctionnaires du gouvernement vietnamien. Elle fait sans cesse l’éloge des « cinq vertus révolutionnaires » : travail, économie, intégrité, droiture, valeur de l’éducation. Le peuple est également conquis par la discipline de fer qui règne parmi les forces populaires ; contrairement à l’habitude millénaire des troupes asiatiques, les soldats Viêt Minh ne pillent pas et ne violent pas - les contrevenants sont immédiatement exécutés en public - et aident le peuple dans le besoin. Lorsque les soldats ne sont pas occupés à s’entrainer ou à combattre, ils sont employés dans ce que Lansdale a appelé « l’action civique » : réparation et renforcement des digues, amélioration et développement des canaux d’irrigation, repiquage du riz, participation à la récolte, etc.
Pour la force, exercée systématiquement contre tous ceux qui sont hermétiques à la propagande, c’est le système de la terreur organisée et générale, en accord avec ce qu’a écrit Trotski : « La révolution est un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l’autre partie à l’aide de baïonnettes, de fusils, de canons. » Tous les moyens sont bons pour y parvenir : assassinats de notables et autres opposants par les fameux comités d’assassinat (bang conh tac), incendie des villages récalcitrants après massacre de tous ses habitants, et, surtout, torture érigée en institution à l’instar de l’Inquisition ; dix têtes coupées ou un corps affreusement supplicié en public et exhibé dans un village, avec ordre de ne pas y toucher, enseignent aux survivants et aux villages voisins qu’il vaut mieux être du bon côté. Il faut admirer le fait que, malgré tout cela, jusqu’au bout, nombreux sont les nhà quê qui sont restés pro-français et ont aidé le Corps expéditionnaire dans sa lutte contre les communistes, et ils n’étaient pas tous catholiques.
Une fois la base établie, on passe à la deuxième phase, la montée en puissance, en tenant compte du fait que l’ennemi contrôle les villes et les voies de communi-cation, ce à quoi la riposte est la guerre de partisans : accroissement des troupes régulières et formation de milices populaires - on est nhà quê le jour et maquisard la nuit -, et petites attaques incessantes de l’ennemi en guise d’entrainement. Cette guérilla est menée selon les principes déterminés par Mao, que l’on peut résumer ainsi : « Répandre les idéaux politique et l’esprit de courage et de sacrifice ; commencer toujours par atta-quer des éléments isolés de l’ennemi ; s’attaquer d’abord aux points faibles et mal défendus ; au début, attaquer des petites villes plutôt que de grandes agglomérations et n’engager la bataille que si l’on est sûr de pouvoir détruire l’ennemi - éviter les engagements douteux ; s’efforcer de détruire l’ennemi par la manœuvre et la prise ses bases ; rechercher avant tout la destruction des forces ennemies plutôt que d’occuper le terrain ; utiliser le matériel ennemi pour renforcer ses propres troupes et leur ravitaillement ; utiliser l’intervalle entre deux actions pour regrouper et instruire ses forces. Ces périodes de repos ne doivent pas être trop longues. Elles ne doivent pas laisser à l’ennemi le temps de reprendre haleine »
Dans ses instructions de combat, Giap copie également à la lettre les préceptes de Mao lorsqu’il écrit : « Attaquer pour vaincre, n’attaquer que lorsqu’on a la certitude de la victoire, sinon s’en abstenir » et « L’ennemi avance, nous retraitons ; l’ennemi campe, nous harcelons ; l’ennemi se fatigue, nous attaquons ; l’ennemi retraite, nous le poursuivons. » Il est écrit dans un rapport du Viêt Minh daté du 6 mars 1947, tombé aux mains des services secrets français : " Il faut audacieusement appliquer la guérilla de mouvement, c’est-à-dire concentrer les forces, fortifier le moral de la troupe, déplacer rapidement et secrètement les troupes pour attaquer les points faibles de l’ennemi, les endroits nouvellement occupés par lui qui ne sont pas encore fortifiés. Après cette attaque, transporter les forces pour attaquer ailleurs. "
Les instructions préconisent également « d’activer la construction de barrages contre l’ennemi. Barrage des rivières, destruction des routes, construction de barrica-des sur les digues. » Les embuscades et attentats sont permanents, il faut que l’ennemi français ne se sente en sécurité nulle part, ni dans les villes, ni dans les bourgs, ni à la campagne. C’est la technique du « pourris-sement », qui devient rapidement général, ce que Bodard appelle « Le brouillard jaune » et que Mao a théorisé en écrivant « Vivre avec l’ennemi pour mieux le tuer. » Le but final est de « briser la volonté de combattre de l’ennemi ». Les Français ne contrôlent plus que les villages, les bourgs, les villes et les routes, routes qui, comme les villages, sont contrôlées la nuit par les forces révolutionnaires. Giap écrit dans Guerre du peuple, armée du peuple : « Notre peuple créa des formes de combat d’une diversité inouïe. » L’application de la guérilla est d’autant plus efficace pendant toute la guerre d’Indochine – et celle du Vietnam - que, comme nous l’avons vu, les troupes françaises ne sont pas assez nombreuses pour couvrir tout le terrain alors que le Viêt Minh y est partout présent.
La troisième phase est la guerre conventionnelle, que Mao a entreprise avec succès contre les Nationalistes de Tchang Kai-chek de 1946 à 1950 et que Giap, après ses quatre défaites contre de Lattre en 1951 et celle de Na San contre Salan en 1952, n’appliquera plus jusqu’à Đien Bien Phu.
Tout ce système est inévitablement et totalement mortel pour l’ennemi. Dans son livre La Guerre d’Indochine – L’Enlisement, Lucien Bodard écrit avec raison : « La première grande règle de la guerre d’Indochine, c’est que toute entreprise qui ne réussit pas complètement est vouée à la catastrophe. »
Le Viêt Minh a appliqué tous les principes de la « guerre populaire », résumés par le fameux slogan « Être parmi le peuple comme un poisson dans l’eau. ». S’il est vrai que Mao a eu le génie de comprendre que, contrairement à la thèse russe de la révolution prolétarienne, dans un pays où la paysannerie constitue la grande majorité de la popu-lation, c’est elle qu’il faut « travailler » ; ce n’est pas lui qui a inventé les principes de la guérilla, qui sont immémoriaux et bien connus des Vietnamiens puisqu’ils l’ont appliquée pendant près de 1000 ans contre… les envahisseurs chinois, il les a seulement perfectionnés et codifiés. La guerre populaire se déroule en trois phases, bien connues des cadres Viêt Minh, car les écrits de Mao et de Liu Shao-qi ont été traduits en vietnamien et leur lecture rendue obligatoire pour les cadres du Parti et les officiers généraux.
La première phase consiste à s’installer dans des base inexpugnables et d’y mobiliser toute la population, de gré ou de force. Dans son livre Guerre secrète en Indochine – Les maquis autochtones face au Viêt Minh – 1950-1955 - Lavauzelle, qui en explique ses principes de base très bien au début le lieutenant-colonel Michel David écrit au sujet des bases de guérilla : " Dans la terminologie de la guerre révolutionnaire selon Mao Tsé Toung, une « base » est un endroit sûr où la complicité de la population assure au guérillero sa sécurité tout en contribuant à satisfaire ses besoins logistiques. Au plus petit niveau, une base peut être constituée par une seule famille sympathisante ou un hameau. Au niveau le plus élevé, il peut s’agir d’une région entière de zone de refuge ou d’arrière aux forces combattantes. "
Quant à la population, il faut la mobiliser dans son intégralité – aucune exception - et vivre en son sein, comme l’explique le colonel Nemo :
" La guérilla, comme la contre-guérilla, est une lutte dans l’épaisseur de la population. Son terrain est davantage le terrain social que le terrain physique… À la base de toute guérilla et de toute contre-guérilla, il y a la science de l’homme et cette appréciation, moins rigoureuse, plus subtile et plus fine, des rapports de l’homme avec son milieu… La force de la guérilla est d’utiliser l‘homme dans son cadre habituel, dans cet horizon où tout lui est connu, tout lui est complice, où tout l’aide pour remplir sa mission. " (Colonel Nemo - L’Organisation de la guérilla et le rôle des forces régulières - Revue Militaire Générale n° 4, 1957). Les bases du Viê Minnh sont, au Tonkin, le quadrilatère Cao Bang (dès 1942)-Bac Kan-lac Babe-Thâi Nguyên, la région de Yen Bai, celle au nord-est de Lang Son et, plus tard, les grands massifs forestiers du Ba Vi, du Tam Dao et du Đong Triêu tout près de Hanoï. Au centre, les provinces du nord et du centre de l’Annam ; en Cochinchine, les immenses marécages de la plaine des Joncs et les tunnels de Cu Chi, les deux centres à seulement 80 km de Saïgon que ni les Français, ni les Américains ne parviendront à contrôler, pas plus qu’à l’extrême pointe sud, la péninsule de Ca Mâu, où les Viêt Minh et plus tard les Viêt Cong seront aussi inexpugnables.
Il faut qu’il y ait parfaite symbiose entre le Parti, l’armée et le peuple, qui doit renseigner, protéger, abriter, nourrir les combattants et fournir des troupes. comme l’a établi Mao en écrivant : « Le peuple et le peuple seul est la force motrice dans la construction de l’histoire du monde… C’est le peuple, non les choses, qui est décisif. » Le Viêt Minh a su réunir les trois conditions sine que non pour assurer le succès d’une guerre populaire : représenter les intérêts du peuple en lui garantissant la réalisation de leurs souhaits légitimes de bonheur et de prospérité (comme nous le verrons, aucun ne sera réalisé) ; mobilisation des masses et unité de commandement ; un seul de ces éléments manque et la guerre ne peut pas être gagnée. L’unité de commandement est faite dès le début ; la conquête des masses a été de beaucoup plus grande haleine ! Il fallait les conquérir et les motiver. Le moyen est simple : susciter chez le peuple la haine du Français tout en lui promettant des réformes populaires, puis le préparer à l’insurrection armée. Mais la tâche est loin d’être facile ! Le Viêt Minh convainc aisément les sympathisants du communisme, tous les opprimés et ceux qui sont excédés par les brimades et les humiliations subies de la part des Français. Mais il faut embrigader toute la population. Or, l’ennemi n’est pas uniquement français. Il y a tout d’abord les opposants vietnamiens au communisme, à commencer par les membres des partis nationalistes non-communistes tels que le V.N.Q.D.D. et les mandarins collaborant avec les Français ; une grande partie de la paysannerie, parmi laquelle règne son universelle méfiance envers les nouveautés et que rebute la volonté du Viêt Minh de bouleverser des structures et des mentalités millénaires : collectivisation des terres, mise en place de comités supplantant les chefs de village, alors que les très traditionnalistes nhà quê acceptent difficilement qu’un commissaire politique supplante le chef de village qu’ils ont élu, fermeture progressive des édifices religieuse, la religion étant, comme l’a écrit Marx, « l’opium du peuple » ; il y a également les Montagnards qui, ne l’oublions pas, vivent tout le long de la frontière chinoise et en Annam et ont toujours détesté les Viêt ; tous les Vietnamiens « tièdes », qui adoptent une attitude d’extrême prudence, car ils craignent le retour des soldats français et les sanglantes représailles d’antan en cas de rébellion ; dans Le Chien de Mao (le Chien, c’est l’infernale épouse du Grand Timonnier), Lucien Bodard écrit : « Encore plus que des ennemis, il faut savoir se débarrasser des mous et des incertains ; la tiédasserie est la menace la plus grave. » Il y a également les Vietnamiens pro-français, bien plus nombreux que ne le prétendent les livres d’histoire officielle vietnamiens. Devant toutes ses oppositions, la persuasion par la force a été très souvent indispensable.
Le Viêt Minh doit donc convaincre ou imposer. On convainc par des explications infiniment répétées sur le communisme. La propagande est intense, appliquée selon le principe de base si bien résumé par Hitler dans Mein Kampf : « La faculté d’assimiler de la grande masse n’est que très restreinte, son entendement petit, par contre, son manque de mémoire est grand. Donc, toute propagande efficace doit se limiter à des points peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées aussi longtemps qu’il le faudra, pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée. » Les points de la propagande Viêt Minh sont simples : lutte contre l’impérialisme, indépendance – le fameux Đoc Lap répété ad vitam aeternam - et établissement du socia-lisme populaire. On promet au peuple, essentiellement agricole, la redistribution des terres cultivables, la suppression de l’impôt foncier, celle des baux de location de terres, et l’expropriation des propriétaires terriens français et des gros propriétaires vietnamiens. Quel paysan dépourvu de tout peut s’opposer à un tel programme ? La propagande a un côté très moralisateur s’opposant à la corruption des mandarins et des fonctionnaires du gouvernement vietnamien. Elle fait sans cesse l’éloge des « cinq vertus révolutionnaires » : travail, économie, intégrité, droiture, valeur de l’éducation. Le peuple est également conquis par la discipline de fer qui règne parmi les forces populaires ; contrairement à l’habitude millénaire des troupes asiatiques, les soldats Viêt Minh ne pillent pas et ne violent pas - les contrevenants sont immédiatement exécutés en public - et aident le peuple dans le besoin. Lorsque les soldats ne sont pas occupés à s’entrainer ou à combattre, ils sont employés dans ce que Lansdale a appelé « l’action civique » : réparation et renforcement des digues, amélioration et développement des canaux d’irrigation, repiquage du riz, participation à la récolte, etc.
Pour la force, exercée systématiquement contre tous ceux qui sont hermétiques à la propagande, c’est le système de la terreur organisée et générale, en accord avec ce qu’a écrit Trotski : « La révolution est un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l’autre partie à l’aide de baïonnettes, de fusils, de canons. » Tous les moyens sont bons pour y parvenir : assassinats de notables et autres opposants par les fameux comités d’assassinat (bang conh tac), incendie des villages récalcitrants après massacre de tous ses habitants, et, surtout, torture érigée en institution à l’instar de l’Inquisition ; dix têtes coupées ou un corps affreusement supplicié en public et exhibé dans un village, avec ordre de ne pas y toucher, enseignent aux survivants et aux villages voisins qu’il vaut mieux être du bon côté. Il faut admirer le fait que, malgré tout cela, jusqu’au bout, nombreux sont les nhà quê qui sont restés pro-français et ont aidé le Corps expéditionnaire dans sa lutte contre les communistes, et ils n’étaient pas tous catholiques.
Une fois la base établie, on passe à la deuxième phase, la montée en puissance, en tenant compte du fait que l’ennemi contrôle les villes et les voies de communi-cation, ce à quoi la riposte est la guerre de partisans : accroissement des troupes régulières et formation de milices populaires - on est nhà quê le jour et maquisard la nuit -, et petites attaques incessantes de l’ennemi en guise d’entrainement. Cette guérilla est menée selon les principes déterminés par Mao, que l’on peut résumer ainsi : « Répandre les idéaux politique et l’esprit de courage et de sacrifice ; commencer toujours par atta-quer des éléments isolés de l’ennemi ; s’attaquer d’abord aux points faibles et mal défendus ; au début, attaquer des petites villes plutôt que de grandes agglomérations et n’engager la bataille que si l’on est sûr de pouvoir détruire l’ennemi - éviter les engagements douteux ; s’efforcer de détruire l’ennemi par la manœuvre et la prise ses bases ; rechercher avant tout la destruction des forces ennemies plutôt que d’occuper le terrain ; utiliser le matériel ennemi pour renforcer ses propres troupes et leur ravitaillement ; utiliser l’intervalle entre deux actions pour regrouper et instruire ses forces. Ces périodes de repos ne doivent pas être trop longues. Elles ne doivent pas laisser à l’ennemi le temps de reprendre haleine »
Dans ses instructions de combat, Giap copie également à la lettre les préceptes de Mao lorsqu’il écrit : « Attaquer pour vaincre, n’attaquer que lorsqu’on a la certitude de la victoire, sinon s’en abstenir » et « L’ennemi avance, nous retraitons ; l’ennemi campe, nous harcelons ; l’ennemi se fatigue, nous attaquons ; l’ennemi retraite, nous le poursuivons. » Il est écrit dans un rapport du Viêt Minh daté du 6 mars 1947, tombé aux mains des services secrets français : " Il faut audacieusement appliquer la guérilla de mouvement, c’est-à-dire concentrer les forces, fortifier le moral de la troupe, déplacer rapidement et secrètement les troupes pour attaquer les points faibles de l’ennemi, les endroits nouvellement occupés par lui qui ne sont pas encore fortifiés. Après cette attaque, transporter les forces pour attaquer ailleurs. "
Les instructions préconisent également « d’activer la construction de barrages contre l’ennemi. Barrage des rivières, destruction des routes, construction de barrica-des sur les digues. » Les embuscades et attentats sont permanents, il faut que l’ennemi français ne se sente en sécurité nulle part, ni dans les villes, ni dans les bourgs, ni à la campagne. C’est la technique du « pourris-sement », qui devient rapidement général, ce que Bodard appelle « Le brouillard jaune » et que Mao a théorisé en écrivant « Vivre avec l’ennemi pour mieux le tuer. » Le but final est de « briser la volonté de combattre de l’ennemi ». Les Français ne contrôlent plus que les villages, les bourgs, les villes et les routes, routes qui, comme les villages, sont contrôlées la nuit par les forces révolutionnaires. Giap écrit dans Guerre du peuple, armée du peuple : « Notre peuple créa des formes de combat d’une diversité inouïe. » L’application de la guérilla est d’autant plus efficace pendant toute la guerre d’Indochine – et celle du Vietnam - que, comme nous l’avons vu, les troupes françaises ne sont pas assez nombreuses pour couvrir tout le terrain alors que le Viêt Minh y est partout présent.
La troisième phase est la guerre conventionnelle, que Mao a entreprise avec succès contre les Nationalistes de Tchang Kai-chek de 1946 à 1950 et que Giap, après ses quatre défaites contre de Lattre en 1951 et celle de Na San contre Salan en 1952, n’appliquera plus jusqu’à Đien Bien Phu.
Tout ce système est inévitablement et totalement mortel pour l’ennemi. Dans son livre La Guerre d’Indochine – L’Enlisement, Lucien Bodard écrit avec raison : « La première grande règle de la guerre d’Indochine, c’est que toute entreprise qui ne réussit pas complètement est vouée à la catastrophe. »
jacquesdelarsay- Messages : 17
Date d'inscription : 19/01/2022
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