Forum La Guerre d'Indochine
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La Stratégie selon l’Amiral CASTEX

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La Stratégie selon l’Amiral CASTEX Empty La Stratégie selon l’Amiral CASTEX

Message   Mer 17 Juin - 14:17

Bonjour,

Cet article provient du site de la défense nationale et sécurité collective.

Amicalement.

Roland

L’amiral CASTEX a publié clans la Revue de Défense Nationale de décembre 1955 un très intéressant article intitulé « Quelques aspects stratégiques de la guerre d’Indochine », dans lequel il critique sévèrement la stratégie - ce mot étant entendu au sens le plus large -pratiquée en Extrême-Orient par l’ensemble des puissances occidentales et, en Indochine, par le gouvernement français et le commandement local.
Il n’est pas dans mon intention de discuter les vues de l’amiral Castex sur l’action des gouvernements occidentaux en général et du gouvernement français en particulier. Ce n’est qu’aux critiques adressées au commandement militaire local que je répondrai car, sur lui seulement, je possède les données voulues pour le faire valablement.
Peut-être, du point de vue occidental, fut-ce une faute que de nous laisser entraîner à mener en Corée et en Indochine, au détriment du front principal européen, une guerre épuisante et dévoratrice de moyens de toute nature.
Il est fort possible aussi, que, du point de vue purement français - étant posé en principe que nous ne pouvions ou ne voulions faire qu’un effort militaire d’ensemble limité - c’ait été une autre faute que de n’avoir pas su à temps consentir des sacrifices en Indochine au bénéfice de la défense du Rhin et de la solidité de notre emprise sur l’Afrique du Nord.
Ce qui est certain, c’est que, si ce furent des fautes, elles ont été commises - ainsi d’ailleurs que beaucoup d’autres qui, bien que n’étant pas d’ordre stratégique, n’en pesaient pas moins sur la stratégie - et qu’il en est résulté en Indochine une situation difficile et complexe - beaucoup plus difficile et complexe en tous cas que ne pourrait le faire croire la lecture de l’article de l’amiral Castex.
Cette situation de fait, le commandement militaire local pouvait la déplorer, mais elle s’imposait à lui et constituait la seule base sur quoi fonder ses décisions. Si l’on veut juger ses actes c’est donc cette situation seulement qu’il faut prendre en considération.
Il est assez artificiel d’isoler des autres l’aspect stratégique du problème indochinois. J’essaierai cependant de le faire puisque c’est cet aspect seulement qu’a traité l’amiral Castex.
Du point de vue stratégique, le Commandement en chef en Indochine avait à remplir deux missions distinctes
La première se situait sur un plan purement français. Il fallait faire en sorte que la « stratégie militaire » permit au gouvernement de poursuivre en Indochine la politique définie dès 1945, maintes fois réaffirmée depuis, et à laquelle il n’avait jamais été renoncé : le maintien de l’Indochine dans l’Union Française. Conserver à la France ce qui avait été le plus beau joyau de son Empire était le but même de la guerre. C’était, du point de vue français, la seule justification des sacrifices consentis. Ce n’était donc pas une simple « servitude politique » mais un impératif absolu, auquel le responsable de la « stratégie militaire » ne pouvait que déférer sous peine de faillir entièrement à son devoir.
L’amiral Castex estime, il est vrai, que « la stratégie militaire a le devoir de s’insurger et, s’il le faut, de se démettre plutôt que de se soumettre » quand la « servitude politique » l’engage « sur une route dangereuse avec risque de catastrophe au bout ». Ce point de vue que je partage pleinement cesse d’être valable quand la « servitude politique » est de nature telle que ne pas s’y conformer aboutirait à détourner la guerre de son but. Alors, le responsable de la « stratégie militaire », ne peut, après avoir éclairé sur les risques courus le pouvoir politique - à qui appartient, en dernier ressort, la décision - que « se soumettre ». « Se démettre » serait, dans ce cas, une désertion.
Qu’aurait-on pensé d’un chef militaire qui, en 1914 ou en 1939, se serait refusé à « se soumettre » à la « servitude politique » qu’était pour lui la défense de notre frontière de l’Est, sous prétexte qu’une bataille sur la Seine, la Loire ou la Garonne eussent été, du point de vue de la « stratégie militaire », préférables ? Que penserait-on actuellement d’un commandement de l’Afrique du Nord qui invoquerait les nécessités de cette même « stratégie militaire » pour proposer le repli de nos forces sur Bizerte, Alger, Mers el Kebir ou Casablanca ? On verra plus loin quelles étaient l’étendue et la nature des « servitudes politiques » qui pesaient sur les décisions du Commandant en chef en Indochine.
La seconde mission de ce dernier lui avait été progressivement imposée par le développement de la « stratégie d’ensemble » occidentale. Responsable d’un des fronts de « containment » du communisme en Extrême-Orient (l’autre front étant celui de Corée), il devait assurer la couverture du Sud Est Asiatique. C’est pour que cette mission soit remplie - et le soit efficacement - que les Américains nous donnaient leur aide Il y avait là un second impératif qui, bien que moins absolu peut-être que le premier, était cependant, lui aussi, beaucoup plus qu’une simple « servitude politique ».
La première des missions que je viens de définir exigeait que soit maintenue ou rétablie l’autorité des gouvernements de nos Etats Associés sur toutes les parties utiles de leurs pays et que fussent par ailleurs conservées - voire même augmentées les possibilités de recrutement des Armées Associées et du Corps Expéditionnaire français.
La seconde mission exigeait que soit effectivement barrée la direction qui, à travers le bassin du Mékong (Laos, Siam, Cambodge) mène à la Birmanie, à la Malaisie et aux Indes.
Placés face à ce double problème, tous les Commandants en chef qui se sont succédés en Indochine n’ont trouvé, pour le résoudre, qu’une seule solution : contrôler l’ensemble du territoire indochinois.
Or ce contrôle supposait l’implantation d’un quadrillage de garnisons et de postes, support nécessaire de l’action politique et militaire.
Il en est résulté la dispersion dont l’amiral Castex souligne à juste titre les inconvénients évidents sans en avoir, semble-t-il, tout à fait discerné les impérieuses raisons.
Existait-il une autre solution ? L’amiral Castex en propose une qui eut été, dit-il, « une meilleure manière de mener les affaires militaires ». Elle eut consisté à replier toutes les forces du Tonkin sur un « réduit défensif placé le dos à la mer », protégé par un « front » continu, étanche à toute infiltration et d’un développement de 150 km environ - c’est-à-dire n’englobant qu’Haïphong et les voies d’eau nécessaires à la libre disposition du port.
Cette solution, croit son auteur, eut « entièrement retourné la situation ». Elle eut, dit-il, « obligé l’ennemi à nous attaquer sur un terrain choisi par nous ». Elle eut même, affirme-t-il, éveillé au point de vue moral « dans les deux camps de l’Est et de l’Ouest des échos inimaginables » - échos favorables à notre cause au point de provoquer une réaction comparable à celle que suscita jadis l’évacuation de l’Espagne par Napoléon, que l’amiral Castex attribue à l’existence des fameuses « lignes de Torres Vedras ».
Il n’a, par ailleurs, pas été dit quelle attitude nous aurions dû adopter dans le reste de l’Indochine. Quid du Centre et du Sud Vietnam ? du Laos ? du Cambodge ?. Aurions-nous dû tenter de nous y maintenir au prix de la dispersion condamnée au Tonkin ? Y constituer aussi des réduits adossés à la mer ? Tout abandonner, en ne conservant en Indochine qu’Haïphong ? Autant d’inconnues qui rendent la discussion assez incommode.
Je l’essaierai cependant, et d’autant plus volontiers que le repli des forces du Tonkin sur Haïphong est la première solution que j’ai étudiée quand, à mon arrivée en Indochine, j’ai essayé de « repenser » le problème, et que je ne doute pas, tant cette solution est séduisante dès l’abord, que tous mes prédécesseurs, ainsi que les hautes personnalités militaires venues de Paris examiner la situation sur place, y aient pensé bien avant moi - et l’aient rejetée pour les mêmes raisons.
Discutons-la d’abord du point de vue des résultats à en attendre.
Que donnait-elle en ce qui concerne l’Union Française ? Elle aboutissait inéluctablement et très rapidement à notre éviction complète d’Indochine.
Notre repli sur Haiphong - avec l’abandon de sources de recrutement et la « perte de face » qu’il entraînait - eut permis au Vietminh de doubler ou de tripler sa force matérielle et de multiplier ses forces morales par un coefficient bien plus grand encore. Les « échos » escomptés par l’amiral Castex eussent très certainement été à l’inverse de ceux qu’il imagine.
Masquant Haïphong, qu’il n’eut sûrement pas commis l’inutile sottise d’attaquer - ou qu’il n’eut, en tous cas, attaqué qu’après que la Chine lui en eut fourni les moyens - le Vietminh se fut répandu - et alors sans difficulté aucune - au Centre et au Sud Vietnam, au Laos et au Cambodge. Il eut vite éliminé les gouvernements nationaux qui étaient nos alliés et fut devenu le maître incontesté de tout le pays. En quelques mois, il n’y eut plus eu d’Etats Associés. C’était la fin, en Indochine, de l’Union Française.

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Dernière édition par roland le Mer 17 Juin - 14:24, édité 1 fois


Date d'inscription : 01/01/1970

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La Stratégie selon l’Amiral CASTEX Empty Re: La Stratégie selon l’Amiral CASTEX

Message   Mer 17 Juin - 14:22

La Stratégie selon l’Amiral CASTEX SUITE

Quant à notre Corps Expéditionnaire, refoulé - non certainement sans de graves revers locaux - sur les seuls points défendables de la côte - Tourane et le Cap St Jacques - il aurait eu le choix entre les évacuer difficilement ou en tenter à grands frais, comme à Haïphong, une défense sans grand objet. Il n’y aurait eu pour nous, en tous cas, aucun espoir d’en déboucher jamais à nouveau.
La comparaison que fait l’amiral Castex avec Torres Vedras n’est, en effet, pas applicable à des réduits indochinois. Si les troupes de Napoléon ont dû évacuer l’Espagne, ce n’est pas à cause de l’existence à l’extrémité de la péninsule d’un réduit défensif anglais qui ne les gênait guère, mais parce que leurs communications étaient dangereusement menacées par l’insurrection espagnole.
Le Vietminh, dont les arrières eussent été parfaitement sûrs, n’eut en rien été incommodé par Haïphong ou par d’autres réduits de même genre. Il n’aurait eu aucun mal à les « enkyster » en attendant qu’il fut devenu assez fort pour les éliminer, ou plus probablement, que nous les ayons évacués par lassitude, après en avoir constaté l’inutilité.
La solution de l’amiral Castex eut-elle été plus efficace du point de vue de la couverture du Sud Est Asiatique ? Certainement pas, car la mainmise vietminh sur le Laos, le Siam et le Cambodge eut amené très vite le communisme, par les armes ou par le seul « pourrissement », aux frontières malaise et birmane. La route des Indes lui eut été ouverte
Pour le Commandant en chef en Indochine, adopter la stratégie des réduits était donc renoncer complètement à remplir sa double mission.
Mais, à supposer même que cette stratégie fut valable, était-elle réalisable ?
Je ne mentionnerai que pour mémoire les problèmes qu’auraient posés, dans une évacuation faite « à chaud », le repli des dépôts, des ateliers, des hôpitaux, des civils français, des eurasiens et des autochtones liés à notre cause. Si considérables qu’eussent été les difficultés, si énormes qu’eussent été certainement les pertes, rien de tout cela n’aurait constitué un obstacle absolu.
Par contre, c’est au problème des effectifs militaires que se serait heurtée la stratégie des réduits.
L’amiral Castex évalue à 150.000 hommes environ les forces nécessaires pour tenir Haïphong. Admettons ce chiffre, bien qu’il n’eut certainement pas permis, en présence d’un ennemi aussi apte à l’infiltration que l’était le Vietminh, de réaliser le front étanche de 150 km considéré à juste titre indispensable.
Par quels éléments eut été constituée la garnison ?
II n’y aurait plus eu d’Armée Vietnamienne, car notre repli en eut provoqué la désagrégation et très probablement le passage par unités entières dans les rangs vietminh. Les éléments autochtones du Corps Expéditionnaire auraient, eux aussi, disparu par désertion et impossibilité de recrutement Ceux que nous aurions pu conserver auraient été un danger plus qu’un appoint.
Les 150.000 hommes de la garnison du réduit eussent donc dû être fournis en totalité par la France et l’Union Française. Or l’effectif du Corps Expéditionnaire (autochtones déduits) était de 120.000 hommes environ (54.000 Français, 20.000 Nord Africains, 18.000 Africains, 20.000 Légionnaires). Ce sont donc 30.000 hommes supplémentaires qu’il eut fallu demander à la Métropole, rien que pour défendre Haiphong.
Mais cette défense n’eut pas été, je l’ai déjà fait observer, notre seule tâche. Nous aurions dû - pendant un certain temps tout au moins - soit chercher à nous maintenir sur l’ensemble du territoire indochinois au sud de la Porte d’Annam, soit - si, comme c’est très probable, nous en eussions été incapables - nous replier, là aussi, sur des réduits (Tourane et- le Cap Saint-Jacques).
Notre maintien au sud de -la Porte d’Annam, en présence d’un Vietminh renforcé en nombre, en dynamisme et en prestrige par notre abandon sans gloire du Tonkin, eut exigé des forces considérables et très bien encadrées. Quant à la défense des réduits de Tourane et du Cap Saint-Jacques, elle n’eut pu se faire, pour les mêmes raisons qu’à Haïphong, qu’avec des troupes dont les autochtones eussent été à peu près complètement éliminés. Cent mille hommes au moins étaient nécessaires.
C’est donc un renfort de 100.000 à 150.000 hommes que, pour pratiquer une stratégie ne menant à rien, il eut fallu paradoxalement demander à la France, alors que celle-ci s’était toujours refusée à l’effort beaucoup moindre qui eut permis une issue honorable de la guerre.
Quel que soit le point de vue auquel on l’examine, la « stratégie des réduits » apparaît donc inapplicable dès que délaissant la théorie, on considère les réalités.
Je ne puis, pour ma part, que réaffirmer ici, avec une conviction que le recul n’a fait que renforcer, ce que je disais au Gouvernement peu après ma prise de commandement, après étude approfondie du problème.
Dans le cadre de la politique poursuivie, à tort ou à raison, par la France en Indochine, la seule « stratégie militaire » possible était celle qu’avaient pratiquée tous mes prédécesseurs, stratégie consistant à maintenir -malgré l’inévitable dispersion que cela entraînait - l’ensemble de nos positions, et, si possible, à les améliorer, car - et en Extrême-Orient plus qu’ailleurs - qui n’avance pas recule. Aucune solution intermédiaire n’existait entre l’occupation totale de l’Indochine et son évacuation complète.
Si les effectifs qui pouvaient être soit fournis par la France, soit recrutés sur place ne permettaient pas d’appliquer cette stratégie - ce qui n’est nullement démontré... mais ceci est une autre histoire - il n’y avait pas de solution à l’échelon du commandement local.
Ce n’est qu’à celui du Gouvernement qu’il en existait une et celle-ci ne pouvait être que de modifier radicalement nos « buts de guerre », de renoncer à la fois à maintenir l’influence française en Indochine et à y assurer pour le compte de l’Occident la défense du Sud Est Asiatique.
Tout au plus –pouvions-nous alors envisager de participer en Extrême-Orient, avec nos alliés occidentaux - et à condition de ne pas en faire à peu près seuls les frais - à cette « guerre limitée » que préconise l’amiral Castex. Encore aurait-il fallu, auparavant, en définir l’objet.
Ces quelques réflexions sont très loin d’avoir épuisé le sujet. Elles auront cependant atteint leur but si elles ont donné au lecteur une idée de l’extrême complexité des problèmes posés par la guerre d’Indochine et l’ont convaincu de l’impossibilité - sous peine d’aboutir à des conclusions hasardeuses - de les étudier sous un seul angle, fut-ce celui de la stratégie.


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