AVATARS DE LA CERA : UN AVION A DESERTE

Bonjour à tous,
ci-joint un sujet scabreux qui lève le voile sur les raisons de l'existence éphémère de la Compagnie étrangère de livraison par air.
Cordialement,
"Semperfidelis" (colonel PAOLETTI)

La CERA (compagnie étrangère de ravitaillement par air) est une formation du Train destinée à fournir des dispatchers et des arrimeurs-largueurs en sus de ceux servant dans les compagnies de ravitaillement par air, armées par des parachutistes coloniaux. Implantée à Bach-Maï (Hanoï), elle naît le 1er janvier 1951 par changement d’appellation de la CRA de la base aéroportée Nord (CRA/BAPN) qui a existé de 1948 à 1949. La CERA est formée de légionnaires, de tringlots et d’autochtones, elle est à l’effectif de 253 hommes dont 141 légionnaires. En août 1951 elle est dissoute pour donner la compagnie de ravitaillement par air des forces terrestres du Vietnam (CRA / FTVN).
Durant les sept mois de son existence, elle eut une activité tumultueuse dont au moins un épisode peut expliquer sa vie étonnamment éphémère… autant que la discrétion qui entoure le détail de celui-ci.
Dans le courant de l’année 1950, plusieurs légionnaires du 1er BEP sont affectés à la CRA/BAPN avant, peu à peu, de former l’effectif d’un peloton. Le BEP ayant été anéanti dans les combats de l’évacuation de Cao-Bang en octobre 1950, le reliquat de son effectif, provenant en majorité de la base arrière du régiment, est ventilé entre le 2ème BEP et la CRA où les légionnaires sont bientôt numériquement majoritaires. C’est donc par suite logique qu’à la dissolution du BEP le 31 décembre 1950, la CRA/BAPN est aussi réorganisée pour devenir la CERA. Commandée par le capitaine Bernard Cazaumayou, la compagnie est articulée en une section de commandement, une section d’entretien et de pliage des parachutes à matériel (SEPPM), une section de réception et d’emballage (SRE) et une section de largage (SL).
En juillet 1951, son PC s’installe à Gia-Lam. Le 1er août, le capitaine François Vieulès succède à Cazaumayou… pour un mois, car les jours de l’unité sont comptés. Il faut admettre qu’entre-temps la CERA a fait parler d’elle, notamment lors d’un rocambolesque détournement d’avion.

Le 26 juillet 1951, un Toucan de la compagnie civile Autrex (immatriculation F-BBYF, pilote : Jean Batsalle, radio navigant : René Barbezier, mécanicien : Yves Michel), est réquisitionné pour augmenter le parc de livraison par air de la CRA, largue sa cargaison sur le poste de Van-Yen à 120 km à l’ouest d’Hanoï, puis disparaît. A bout de potentiel, on se perd en conjectures sur son sort. Crash, destruction par tir ennemi, atterrissage forcé ? Après enquête, l’hypothèse d’un détournement par des déserteurs prend corps. Trois d’entre eux manquent en effet à l’appel, le caporal Hedtman (1), les légionnaires Krygier et Nowocin. Le projet de détourner un avion en direction de la Chine, comme se confieront certains de leurs camarades mis dans le secret, a été soigneusement préparé : il suffira d’attendre que deux compères soient désignés en tant que dispatchers sur un vol réquisitionné pour que se joigne en passager clandestin un troisième larron (Hedtman, qui, non accessoirement, fut dans une vie antérieure pilote de Junkers 52 dans la Luftwaffe…
Compte-tenu de son potentiel en carburant, on estime qu’il pourrait avoir tenté de rejoindre la frontière de Chine par Lao-Kay qui est aux mains du vietminh et qui dispose, à proximité du pont international , d’un terrain d’aviation en état. Le 29 janvier 1951, une patrouille de deux Bearcat du groupe de chasse I/3 ‘’Corse’’ localise le Toucan, soigneusement camouflé sous des branchages, à proximité immédiate de la piste où il a atterri après avoir fait un « cheval de bois ». Il est détruit à la mitrailleuse et prend feu. Au grand soulagement de l’état-major, il ne sera pas réemployé par l’ennemi.
Dans le registre international des accidents de l’Aviation civile, le Toucan B-BBYF est compté comme « perdu suite à une avarie non réparable » dans le secteur de Lao-Kay le 26 juillet 1951.
« Quant à l’équipage civil, aucune information précise sur son sort ne sera recueillie, si ce n’est que l’un d’eux, probablement le pilote, aurait été tué et que le contrôle de l’appareil serait passé aux mains des pirates de l’air. Des trois légionnaires, deux auraient été blessés (2), tandis que l’autre, le caporal Hedtman, aurait pris les commandes ». (Patrick-Charles Renaud in « aviateurs au combat, Indochine 1950-1954 »). De fait, d’après des renseignements de sources diverses et concordantes (3), c’est au moment de la tentative de prise de contrôle de l’appareil que le pilote aurait ouvert le feu avec une arme personnelle, provoquant la riposte des déserteurs qui auraient alors fait usage de leurs armes et tué l’équipage dont ils se seraient débarrassés des corps en les jetant dans la jungle. Ils auraient été au final pris en charge par les viets avant de passer en Chine et de rejoindre –peut-être- leur patrie perdue par la voie du paradis marxiste.
Cet épisode fit une autre victime en la personne du capitaine Cazaumayou, rapidement muté après les faits, et remplacé par un autre officier qui expédiera les affaires courantes d’une unité condamnée à disparaître de l’organigramme à cause de son côté trop sulfureux. Au contraire des unités de la Légion Etrangère qui s’illustrèrent en Indochine, la CERA ne laissa pas derrière elle une trace glorieuse.

(1) ou Hedtmann, qui paraît plus germanique (mais il s’agit d’un vraisemblablement -comme pour ses deux camarades- d’un pseudonyme choisi à l’engagement)
(2) Jean Batsalle, le pilote, ne se séparait jamais d’un petit pistolet de calibre 7,65 personnel qui pensait-il pourrait lui servir en cas d’atterrissage forcé en zone viet.
(4) interceptions radio, témoignage du lieutenant Guerrin du GC I/3, témoignage recueilli de la bouche d’un officier vietminh ayant accueilli les trois déserteurs à Lao-Kay

bonjour

dans l'excellent bouquin de Cornu, Millas et Queurty sortie tout recemment chez Lela Presse, il est precise en page 348: qu'il est"detruit au sol par un avion de chasse apres que le Toucan ait ete detourne par trois legionnaires voulant rejoindre le Vietminh. MM Batsalle pilote, Barbezier radio et Michel mecanicien navigant sont executes par les Viets ou les legionnaires." Vital Ferry parle lui de la piste de Lao Kay tenue par le Vietminh ou l'appareil est detruit a la bombe par de P-63 Kingcobra venant de Gia Lam.(les ailes du dragon pXLI). il precise aussi que se sont trois legionnaires dispatchers dont un ancien pilote de la Luftwaffe qui se sont empares de l'avion(icare n°243 p145)

le livre:https://www.avions-bateaux.com/produit/les-livres/4433

lr

Bonjour à tous,
Je viens de lire avec le plus grand intérêt les deux messages traitant de la CERA, le détournement d'un JU-52/Toucan de la compagnie Autrex vers Lao Kay, et la disparition de cette unité légionnaire à la suite de cet évènement.
Les messages n'étant pas datés précisément, j'ignore s'ils sont récents ou pas.
M'intéressant désormais au parcours de François Vieulès, officier légionnaire, capitaine commandant la CERA pendant la période, je souhaiterai savoir s'il a été incriminé dans cette affaire. Cela semble vraisemblable puisqu'elle a lieu le 26 juillet 1951 et que Vieulès était déjà en fonction à la CERA (depuis le 1er juillet, comme indiqué dans son état signalétique et des services et non le 1er août qui n'est qu'une régularisation sur son ESS, ce qui peut effectivement prêter à confusion). La rubrique des condamnations et des punitions de l'ESS ne mentionne rien, mais il a peut-être été "élagué" ou le capitaine Vieulès amnistié.
Je vais aller au SHD Vincennes pour consulter les cotes 7U 1796 à 1799 (JMO de la CERA) mais, d'ores et déjà, je suis impatient d'avoir votre avis et vos précisions sur cet évènement et notamment les conséquences pour le capitaine Vieulès.
Merci pour votre aide. Elle me sera certainement très précieuse
Cordiales salutations

Bonsoir M....
Le sujet n'est pas réçent et date de plusieurs années
Très cordialement
Jérôme

Bonsoir Jérôme,
Je savais que le sujet abordé n'était pas récent. Mais pour ramener du poisson, il faut aller à la pêche !
Pour info, je suis allé cette semaine voir le JMO de la CERA au SHD Vincennes. Rien ou presque sur le sujet. Une ligne pour dire que le JU-52 d'Autrex n'est pas rentré et que deux légionnaires (pas trois) sont portés disparus.
Rien non plus dans les rapports des mois suivants. Un peu décevant...
A bientôt, j'espère.