Lieutenant Gratien DANJAUME 1er BCCP MPLF 1951
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Lieutenant Gratien DANJAUME 1er BCCP MPLF 1951
Lieutenant Gratien DANJAUME
Saint-Cyrien Promotion "Nouveau Bahut"
Chef de la 1ère Section de la 2è Cie du 1er BCCP
Mort héroïquement pour la France le 10 Décembre 1951 à la tête de sa section à Xon Sui.
" DANJAUME, brun, la peau mate, taillé pour le commandement, était le type du jeune officier totalement engagé. Solide et robuste, d'une intéligence fine et souple, grand sportif, travailleur acharné, il était parvenu fort jeune et grâce à sa nature richement équilibrée à réaliser la synthèse parfaite entre le physique et l'intelectuel : résultat primordial, condition indispensable pour tout officier et sans doute pour tout homme ayant quelque responsabilité que ce fût. Un tel équilibre était recherché, presque exigé à St Cyr. DANJAUME était à la fois admiré, estimé de ses paras et ce qui est fort différent mais cent fois plus important, adoré d'eux.
Prix d'excellence du Lycé Thiers de Marseille, sorti Major des Coloniaux de sa Promotion ("Nouveau Bahut"), il était aussi tireur d'élite, Capitaine de l'équipe de Basket de St Cyr et pulvérisait les chronos du parcours du risque. Pas un de ses camarades l'enviait, aucun ne le critiquait, tous l'admiraient....
.... le 14 novembre, le 1er BCCP saute sur Hoa Binh, comme pour un exercice. Les corolles bariolées descendent vers les rizieres dans un ordre parfait; le materiel suit, sans histoires. Pas un bruit, pas un coup de fusil. Le bataillon est commandé par un capitaine (CNE MORETTI). La plupart des chefs de section sont de jeunes lieutenants ou des sous officiers de haute valeur. Cette guerre, ils le savent, est menée sur le terrain par les cadres dits subalternes. De LATTRE l'a déclaré ouvertement dès son arrivée : '' Je suis venu ici pour les lieutenants et les capitaines ...''
Quelques jours plus tard, les compagnies cantonnent en forêt, installées en hérisson au nord du mont Bavi. Toujours rien, calme plat. Les reconnaissances légères, effectuées par des patrouillles d'une quinzaine d'hommes, ne détectent aucune présence rebelle. Pourtant le commandement redoute une puissante attaque contre le poste de Tu-Vu, double point d'appui à cheval sur la Rivière Noire. Pour la première fois, le 5 décembre, l'infiltration déléments réguliers est signalée par des partisans, sur la rive droite de la rivière. Le 9, le 2è Cie, dont DANJAUME commande la première section pousse une reconnaissance jusqu'à la vallée de Xon-Sui."
" : rien à signaler, sauf deux mines détectées. Le lendemain, dans le cadre d'une plus vaste opération de nettoyage de la région du sud du Bavi, les unités doivent se porter dans cette même vallée du Xon-Sui , pour s'y établir en bouchon, face au sud.
La colonne s'engage au petit jour.
Touts les pentes et les croupes alentours sont couvertes de forêts touffues, fatras d'arbres de toutes sortes, de lianes énormes et de bambou trés dense, véritable réseau de barbelés, qui s'oppose à toutes progression rapide et à tout débordement de la piste : boyau et souricière. Les rares endroits dégagés sont les grains du chapelet que composent les minuscules rizières, encagées au fond de la vallée,écrasées elles aussi par les laves de verdure qui déferlent des sommets. Oui, la forêt est bien seule maîtresse du terrain. Les hommes le savent et le ressentent : cette verdure humide les écrase, eux aussi. Encore un peu engourdis, ils se faufilent par la piste minuscule, au creux des ombres. Le petit crachin glacé les fait frissonner. Dans le calme de l'aurore froide, sous les lambeaux de brume d'hiver encore accrochés à la montagne, plongé dans l'odeur de bambou mouillé des patrouilles matinales, le bataillon marche lentement, colonne par un. Les tenues camouflées, apparues depuis peu dans l'équipement des parachutistes collent à la peau, comme les sangsues voraces déjà agglutinées en paquets au bas des jambes. Silencieux, aux aguets, sensibles au mouvement de la moindre brindille, les quatre cents hommes se glissent le long de la rivière. Huit cents yeux scrutent la moindre touffe d'herbe, huit cents rangers dessinent leurs chevrons réguliers dans la boue jaune et glissante de la piste étroite, quatre cents doigts frôlent la détente des carabines et pistolets mitrailleurs, dont les sécurités ont été dévérouilllées : bataillon prêt !
Les rizières sont vides. La population dort encore, dans les villages alentour. Seuls quelques énormes buffles somnolent, enfouis dans la vase jusqu'au museau, laissant apparaître l'extrémité de leurs naseaux roses et de leurs cornes grises. Le soleil commence à percer à travers la brume. Quelques oiseaux viennent frôler la colonne."
"De quart d'heure en quart d'heure, le sol devient plus ferme. Soudain, comme répondant à un ordre secret, tous les animaux de la forêt honorent la chaleur des premiers rayons. Les cris gutturaux de dizaines de gibbons invisibles saluent le jour nouveau et s'appellent les uns les autres, au cours de l'infernale cavalcade qui va les entraîner vers les plus hautes futaies. Ces sifflements lugubres sont la marque du vrai matin calme des hauts plateaux. Les paras lèvent la tête, cherchant à apercevoir, ou même à deviner la présence de ces petits singes noirs, aux yeux perçants, d'un extrême prudence. Ils ne les verront pas. Personne ne les voit jamais. Le gibbon, doué de certaines facultés particulieres, aidé par les esprits de la forêt, échappe aux recherches et aux embûches que lui tendent les autochtones. Les pou-phis ("mauvais esprits" pour les croyances locales des indigènes) s'abattent sur quiconque tue un gibbon, et sa capture exige une foule de subterfuges. Dans ce cadre enchanteur, la légende rejoint la réalité.
La moiteur s'installe lentement sous les tenues et sous les casques. Pour les porteurs d'armes lourdes, mitrailleuses et mortiers, les revers de main commencent à éssuyer les premières gouttes de sueur qui perlent sur les fronts. Premières gorgées du bidon d'eau encore fraîche, avant qu'elle ne soit tiède...dans une heure. Première halte aussi. On s'allège d'un foulard, d'un pull-over, d'une boîte de ration. On échange quelques mots à voix basse. Première cigarette.
La tête de la colonne quitte alors la cuvette principale, passe un petit col, et s'enfonce à nouveau dans la forêt... Dix mètres, cent mètres, trois cents mètres...Les sommets sont dégagés, le soleil jaillit maintenant de toutes parts, les gibbons se sont tus. Dans le lointain un avion de transport ronronne sur le delta : Dakota. Un nouveau jour commence pour Gratien DANJAUME, commandant en pointe, la section d'éclairage. Il se retourne un instant, sourit à son adjoint, regarde vers les hauteurs. Les arbres déjà secs, semblent s'incliner aussi, après mais comme les autres, pour saluer le soleil, source de vie. La brume monte encore. Le spectacle est magnifique. DANJAUME est heureux.
-Tien !(en avant)
Une formidable clameur embrase la vallée. Par dizaines, les rafales fauchent la colonne. Les hommes se jettent derrière la première touffe, la première diguette, cloués au sol par le tir rasant des armes automatiques et les explosions des obus de mortiers. Quatre, dix, vingt hommes s'écroulent dans la rizière, atteints par balle ou par éclat. La surprise est totale, meurtrière. Combien sont ils donc, les petits hommes jaunes en chemise verte, casqués en latanier, marqués de l'étoile rouge? Il en gicle de partout, surgissant de la montagne, bondissant à quelques mètres de la piste, jaillissant des touffes de bambou ou tombant des arbres. Tigres, serpents gibbons, ils sont tout cela à la fois. Mais combien sont ils donc ?
Personne ne le sait pour l'instant.
En un éclair DANJAUME a évalué la menace : compte tenu de la densité du feu et du nombre de mitrailleuses, il y a au moins quatre bataillons de réguliers, soit plus de deux mille hommes armés jusqu'aux dents et bien entrainés. Camouflés dans la montagne, les fameux viets signalés depuis des semaines attendaient là, parfaitement silencieux et invisibles, prêts à attaquer les postes de Tu Vu la nuit suivante. Le lieutenant distingue parfaitement les tenues réçentes, les ceinturons et les équipements de cuir neuf. Il a déjà ajusté cinq ou six viets à bonne distance à la carabine. Mais la compagnie de tête, attaquée de flanc, refoulée vers le nord, coupée du reste du bataillon, se rétablit avec peine sur les pentes dominant Xon Sui. En forêt, le combat s'engage immédiatement. Les sections et les groupes s'entremêlent. Les paras se cherchent, les viets aussi. Qui a surpris qui ?
C'est le corps à corps, mais livré à un contre dix. CARRIE, le commandant de compagnie, est totalement encerclé avec ses tros sections et son D.L.O.(détachement de liaison et d'observation d'Artillerie), submergé par le nombre. Une première contre-attaque est lancée à la baïonnette. Les hommes tombent par dizaines, abattus à bout portant, au détour d'une clairière, ou derrière un rideau de bambou. Les bléssés hurlent, les appels au secours se multiplient. GASTOU, le caporal-chef infirmier, à l'air si placide et si doux, s'élance avec sa trousse à pansement en plein milieu de la mêlée. Il parvient à traîner quelques camarades derrière un petit mouvement de terrain, et là sans plus prêter attention à la fusillade qui fait rage autour de lui, il commence à laver les blessures. Une volée de grenades s'abat à côté de lui, faisant éclater son flacon. GASTOU pousse un cri. Il est tué, parmi ses bléssés qui vont être achévés, quelques instants plus tard, au couteau.
DANJAUME lance sa seconde contre-attaque à la grenade cette fois. Les viets tombent comme des mouches, d'autres viets surgissent. On entend les ordres hurlés en vietnamiens :
-Tien ! Tien !
Toujours Tien ! ....
L'étreinte se resserre à nouveau, et les rebelles grouillent à quelques mètres de là. Il est dix heures. Combien reste t il d'hommes de la section ? Une quinzaine environ la moitié de l'effectif. LEFORT le radio, est bléssé à la jambe gauche. Il vient de capter un message : ordre de repli urgent. Mais comment se replier ? Les rebelles sont partout. DANJAUME a pu faire regrouper les bléssés et les corps de quelques tués. Il a appelé ses sous-officiers :
-Voilà..Nous allons tenter une nouvelle percée pour rejoindre le bataillon. Le moins de bruit possible. Couteau et baïonnette. Compris ?
-Compris.
Les trois hommes, dont deux chevronnés de Lybie, d'Italie et d'Alsace ont répondu d'un même élan, du même ton trés calme, avec la même détermination. DANJAUME pense en lui-même :
-Comme il est simple et magnifique de commander aux heures difficiles.....
Puis, sèchement, avec ce regard d'adolescent, et pourtant déjà de chef qui lui est si propre :
-En place ! Je donnerai l'ordre de contre-attaque dans quatre minutes.
Les minutes comptent en effet, et même les secondes. Un feu d'enfer s'abat sur le réduit français. Les viets s'acharnent sur ce fer de lance enfoncé dans leur chair, poignée de quelques hommes qui a dévoilé tout leur dispositif offensif.
-A l'assaut !
Les paras foncent. Trois d'entre eux tombent immédiatement, fauchés à bout portant. Mais les lames d'acier scintillent au soleil, et la saignée se creuse dans les rangs rebelles. Ils progressent en silence, surprenant les guetteurs, mettant en fuite les uns, poignardant les autres, avançant mètre par mètre, comme une foule d'énergie irrésistible.
-A l'assaut ! Changement de direction ! Par là ! Par la trouée !
DANJAUME bondit comme un diable, donne ses ordres par geste, saute, s'arrête à nouveau, regroupe ses hommes, les compte, repart.
-A l'assaut par là !
Cette fois il n'a pas eu le temps d'indiquer la direction, il est touché au bras droit. La blessure est sans gravité, mais pourra t il encore progresser normalement ?
Deux hommes viennent à lui. Il se dresse. Cinq viets surgissent en hurlant. Tous les chargeurs se vident en dix secondes. Les cinq viets sont abattus.
Malgré la plaie qui lui brûle le bras, DANJAUME sourit, d'un rictus sauvage et provoquant. Il vient d'entendre l'artillerie qui commence à encager le gros du bataillon, afin de le couper du régiment viet qui l'étreignait. Il écoute aussi les chasseurs-bombardiers qui tournent au dessus de la cuvette. Il en aperçoit deux : c'est peut être le salut. Les viets vont ils s'acharner, ou décrocher ? Il est midi."
"Avec les dix hommes qu'il lui reste, et dans son état, il n'est pas question de rejoindre la compagnie, que l'on entend pourtant encore tirer, vers le col. Ils vont donc s'installer en hérisson. Il se retourne pour donner de nouveaux ordres. Une rafale déchire la courte acalmie qui s'était installée depuis cinq minutes environ. A dix mètres, un autre détachement viet les surprend. On distingue fort bien deux paulettes étoilées : officier superieur. Tout cela dure le temps d'un éclair. DANJAUME est touché à nouveau, à la poitrine cette fois. Il s'écroule.
-Ah les vaches !
C'est le dernier cri de LEFORT, touché à mort. De sa main gauche, DANJAUME lui arrache le poste :
-Allô Jupiter, allô Jupiter parlez !
-Jupiter vous écoute.
La réponse est faible, à peine audible. Les piles sont à bout.
-Jupiter vous écoute. Quelle est votre position ?
-Nous sommes isolés, au milieu du dispositif viet, 300 mètres nord de Xon-Sui. Impossible contre-attaquer. Dix survivants dont deux bléssé. Attendons vos ordes.
Deux minutes de silence. Le poste halète, DANJAUME aussi. Son capitaine, CARRIE, lui donne ses derniers ordres.
-Réalisez point de résistance sur place. Attendons dégagement avec blindés 1er Chasseurs et 5è Bataillon de Paras. Répondez.
-Bien reçu. Terminé.
Ce n'est pas seulement la fin d'un message, un accusé de réception, c'est une certitude. Oui, pour DANJAUME c'est terminé. Il coupe le poste. Il sait qu'il ne le rallumera plus. Inutile de le laisser prendre. Il le fait enterrer à côté du radio LEFORT. Toutes ces unités réservées arriveront trop tard, il le sait bien, beaucoup trop tard. Ses forces faiblissent... Il tombe.
Au même instant, à la tête de son commando de parachutiste, un jeune lieutenant récemment débarqué fonce, à marche forcée, vers le lieu de l'opération. Il serait bien difficile de l'identifier, sous l'épaisse couche de poussière qui recouvre la silhouette et le visage. Carabine à l'épaule, chapelet de grenades au ceinturon, poignard au côté, le chapeau de brousse maculé de boue : c'est Gérard PARAUD. Il ignore encore que son camarade DANJAUME est engagé dans l'étau viet. Lui, est venu en renfort de l'ouest, du pays thaï. Il s'est engagé par les pistes les plus dificiles, les moins connues, et marche depuis six hures déjà, coupant à travers la jungle, afin de surprendre les unités rebelles sur leurs arrières, en débouchant de la forêt. Ses hommes des Thaïs et des Méos pour la plupart, sont des marcheurs exceptionnels et des tireurs réputés. Ils répliquent à la guérilla par la guérilla, à la guerre révolutionnaire par la guerre révolutionnaire. Mais il leur faudra encore au moins trois heures de progression dans la montagne, avant de pouvoir espérer établir le contact avec l'ennemi.
Lorsque la colonne débouche sur les crêtes, PARAUD aperçoit de loin, vers le nord-est, dans l'immensité plate du delta, des colonnes de fumée et de poussière soulevées par les camions et les chars, qui convergent vers le mont Bavi. La plupart des unités de réservées du Tonkin ont été mises en alerte, mais parviendront elles à percer l'épais rideau de feu, d'embuscades et de bambou, qui les sépare du bataillon encerclé ?
A un kilomètre de la section DANJAME, les communistes s'acharnent à nouveau sur le village. L'adjudant HUBERT, à la tête de quelques tirailleurs, disparaît dans un tourbillon de viets. La section lourde, complètement isolée elle aussi, se défend avec acharnement contre les rebelles, qui parviennent à quelques mètres des tubes de mortiers. Le sergent-chef BALCON vide ses caisses d'obus et ses bandes de mitrailleuses sur les paquets de viets qui se reforment sans cesse. Le capitaine CARRIE contre-attaque pour la quatrième fois à la baïonnette, arrache de ses propres mains un fusil mitrailleur à l'adversaire. L'étreinte s'est déssérée de quelques mètres. Mais les viets affluent encore : ils veulent occuper le village avant la nuit.
DANJAUME a repri connaissance. Il a l'impression que son secteur s'est un peu dégagé. Il appelle deux paras. Son épaule droite est couverte de sang.
-Menez moi là-bas. Faites vite.
-Où cela mon lieutenant ?
Il grimace un peu, puis sourit à nouveau.
-Là-bas, contre le rocher, à cinquante mètres.
-Mais c'est plein de viets ! Fait observer NOUE.
-Dégagez les à la grenade.
-Il nous en reste quatre.
-C'est plus qu'il en faut. Allez ! Dégagez ces salaudes !
Trois grenades défensives explosent dans un paquet de viets, dont on entend les hurlements de douleur. Les deux hommes en profitent pour traîner leur lieutenant jusqu'au rocher, sans trop comprendre la manoeuvre.
-Voilà, oui, là ! ...C'est bien comme cela...
L'officier, leur dit alors, trés calme, appuyé à la roche :
-D'ici, ils ne pourront pas nous tirer dans le dos...Et moi...je vais les recevoir...avec vous !
Au même instant, le lieutenant TERZIAN, un bazar de la Promotion "Général LECLERC", passe à quelques mètres de là. DANJAUME lui fait signe. L'autre s'approche et lui propose de l'emmener.
-Non, bazar, pas question. Impossible maintenant. Donne moi mon pansement individuel.
Ils ne s'étaient jamais tutoyés.
-Où l'avez vous mis ?
Du menton DANJAUME indique :
-Ici, dans le poche intérieure droite.
TERZIAN, déjà bléssé, dégraffe la veste camouflée, ouvre le pansement et le tend à DANJAUME. Les grenades explosent de toutes parts. C'est un nouvel assaut. A quelques mètres, au milieu d'un buisson, un viet progresse, debout, un fusil mitrailleur à la hanche, arrosant le terain devant lui. Son regard tombe sur les deux officiers. Mais l'homme s'écroule avec son arme :TERZIAN a tiré le premier. Il se retourne vers DANJAUME qui lui sourit :
-Va-t-en maintenant ! Pars ! Ils vont te coincer aussi.
-Tu n'a besoin de rien d'autre ?
-Non ...Enfin si ! ... Si tu veux...
-Quoi donc ?
-Je n'ai plus de munitions de carabine. J'ai tout grillé. Et puis avec ma patte folle...Pourrais tu ? ...
Il hésite un instant, presque gêné.
-Pourrais-tu me laisser ton colt personnel, avec tes cartouches ? Je vais en avoir besoin, pour me défendre jusqu'au bout.
Il blémit de douleur, mais ajoute, comme pour s'expliquer :
-Tu sais que je tire trés bien de la main gauche...
Troizième au concours de tir à Coët...Quel carton !...
TERZIAN retire le pistolet de son étui et lui remet l'arme, après l'avoir chargée. Il glisse quatre chargeurs dans la poche gauche, regarde son ancien, une fois encore, se retourne, s'éssuie le front d'un revers de manche et fonce plein sud, seul, pour tenter de percer le mur viet. Par miracle, il y parviendra et rejoindra les Français dans la nuit, avec quelques autres, si peu...
Il est quatorze heures...
NOUE s'est emparé du fusil mitrailleur ennemi. Longtemps encore, on entendra crépiter les rafales de celui qui défendra jusqu'au bout son lieutenant bléssé, mais encore vivant et combattant : de temps à autre, le claquement caractéristique du colt en est la preuve. Chaque balle tirée presque à bout portant, fait mouche sur le viet trop audacieux. A la tombée du jour, le combat fait encore rage. PARAUD, avec sa compagnie de partisans, appartient aux unités fraîches, qui viennent s'écraser sur les positions rebelles maintenant solidement retranchées, autour du minuscule rocher que tient toujours DANJAUME.
Au cours de la nuit, les viets décrochent, et l'aube dévoile l'affreux spectacle de la boucherie. Plus un bruit. Partout des corps entassés. Qatres cents viets tués, autant sans doute de bléssés, évacués à la faveur de la nuit, comme d'habitude...En ce matin de mort, les buffles impassibles continuent de remuer la vase des rizières, mais les gibbons, eux, ne crient pas.
De l'avis de l'EM du Général SALAN, qui vient de rejoindre personnelement la région du mont Bavi, les documents récupérés révèlent que la Brigade communiste 312, dont le régiment 209 constituait l'avant-garde devait attaquer le fort "Notre-dame", puis concentrer ses efforts sur Tu-Vu. L'opération ennemie, déjouée, a donc totalement échouée. D'ailleurs, les commissaires politiques faits prisonniers, avouent leur surprise totale, mais se refusent à croire qu'une seule section de paras ait pu fixer un bataillon viet pendant douze heures. Alors PARAUD s'avance vers eux et, trés calmement, leur propose :
-Venez avec moi ... Venez donc voir.
Les viets, attachés, encadrés par quelques partisans repartent sur le terrain, enjambant les corps flasques enchevêtrés. L'air est irrespirable. Au centre du carnage, PARAUD stoppe brusquement et écarte le bambou. Les commissaires politiques s'avancent de quelques pas et s'arrêtent, stupéfaits.
Une nuée brune de moustiques survole un carré d'une trentaine de mètres de côté : extraordinaire amoncellement de viets, face à dix cadavres français. Au milieu d'eux, adossé au rocher, mort mais debout, couvert de sangsues, ses yeux verts à peine voilés, la main gauche crispée voulant encore étreindre le colt absent, celui qui semble être l'unique vainqueur de cette bataille d'un jour : l'irréductible lieutenant de parachutistes Gratien DANJAUME."
Tiré du livre "A genoux les hommes" Bernard MOINET
Je cloturerai le sujet par le récit émouvant de la visite que fit le Lieutenant TERZIAN au père du Lieutenant DANJAUME lors de sa permission (Congé de fin de campagne) :
"..........Après avoir repris contact avec mes copains d'enfance et ma famille aux environs, je décide d'aller voir le Colonel DANJAUME, retraité des Troupes Coloniales. Nous avions eu un échange de correspondance après ma sortie de l'Hôpital LANESSAN en janvier 1952. J'avais été sans doute le dernier officier à avoir vu le Lieutenant Gratien DANJAUME, peu de temps avant sa mort. Je me dois de faire cette visite à son père comme je m'y étais engagé. Je suis frappé, en rencontrant le Colonel DANJAUME à son domicile, de la ressemblance entre le père et le fils. L'entretien que nous avons est particulièrement éprouvant et douloureux. Pour ce père qui a perdu son fils unique au combat et n'aura même pas la consolation de se recueillir sur sa tombe. Pour moi, qui suis là, vivant, devant cet officier superieur aux cheveux blancs, tellement digne et qui s'éffondre en sanglots devant moi. Que faire ? Que dire ? C'est un moment où seul le silence a sa place ... En le regardant alors que ses yeux sont pleins de larmes, je ressens une culpabilité indescriptible et le sentiment que je ne devrais pas être là. J'aurais dû mourir dans ce village, pourquoi pas à côté de DANJAUME ou, à la fin du combat, avec le Caporal SAPET, en tirant mes deux ou trois dernieres rafales de PM sur le groupe viet à quelques mètres de nous, derrière le léger feuillage. Cette visite est l'une des plus douloureuses épreuves de ma vie, c'est en tout cas la plus difficile. En quitant le Colonel DANJAUME, je me repose la question sans réponse : au combat, a-t-on le droit de survivre à une pareille épreuve ? Ce sentiment, renforcé par ma visite, m'obsède et m'obsèdera pendant plusieurs années. Après être rentré à Draguignan et être resté toute la nuit sans trouver le sommeil .............................."
(Grand Ecart Edouard TERZIAN)
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