Forum La Guerre d'Indochine
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Laurent MAGINEL

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Laurent MAGINEL Empty Laurent MAGINEL

Message  Lirelou Mer 19 Déc - 12:50

Un petit récit court ...encore une fois sans prétentions historiques :

C’est bruyant un Dakota, puis on est nombreux là-dedans.
Est-ce que les autres se posent la question ?
Les moteurs s’emballent, je risque un regard sur Raymond, assis en face.
Nos regards se croisent, il lève le pouce et me sourit, pas besoin de hurler, il me rassure a sa manière.
Est-ce que les autres ont peur ?
Qu’est-ce que je fiche dans ce piège bruyant et surchargé ce 20 novembre 1953 ?


Dans mon cas, faut remonter à 1945 pour comprendre.
Presque dix ans, une éternité, j’avais 14 ans, des culottes courtes et le certif en poche.
Dans mon bled du Loiret, pas loin de Montargis, sur la route de Paris, l’année passée, j’avais assisté au défilé des troupes américaines qui montaient sur Paris.
Ces soldats aux poches bourrées de trésor qui écoutaient de la musique nègre, avaient des uniformes bien coupés, solides et pratiques.
Ils étaient dotés de véhicules et d’armes qui nous semblaient tous plus magiques les uns que les autres, ils ressemblaient aux soldats des affiches de propagande que l’on voyait sur la permanence du PPF (1) en ville.
Ca nous changeait des soldats français de 40, en bandes molletières bardés de gamelle et des pépères allemands de l’occup avec leurs capotes de 14 ou leurs ceinturons en carton.
En voyant les filles du village s’accrocher aux cous des ricains, même des plus laids, j’avais pris ma décision : je serais soldat américains, je collerais une taule aux autres et les femmes seront folles de moi.
Les femmes parce que côté filles ça allait, on m’appelait beau gosse au village.
Seulement, à 13 ans, même en temps de guerre, personne ne veut de vous de son lit.
On vous sourit, on vous décoiffe, on vous laisse entendre que...mais c’est tout.
Pourtant, j’étais plus un gosse, je travaillais depuis le certif.
Mon vieux était prisonnier quelques part en bocherie depuis 1940 et ma mère avait refusé les avances du notaire et il fallait bien crouter.
J’étais donc apprenti chez Louis DUFLOT, « le pinardier » comme on disait.
Export de vins de Bourgogne, import de vins d’Algérie et ventes en gros de spiritueux et liqueurs diverses.
Pas assez costaud pour faire le manutentionnaire mais assez bon pour remplir les registres et les bons de commandes. Surtout qu’avec la Libération à fêter, les affaires reprenaient.


C’est en sortant de chez DUFLOT, le 15 juin 1945, que je l’ai vu.
Je l’ai reconnu malgré les 5 ans passés.
Il descendait la rue Saint Martin, il marchait au milieu comme un conquérant, comme un vainqueur qu’il n’était pas.
Un conquérant en espadrilles, pantalons kaki trop courts, veste d’alpins trop grande, calot de biffins aux pointes démesurées.
Un vainqueur dont le sac à dos de l’armée boche semblait plein à craquer des rations américaines, il fumait une cousue, une blonde bien sûr.
Le calot en arrière et le clope au bec, il essayait d’avoir une allure mais il avait une guerre de retard malgré sa belle gueule dont j’avais hérité.
En fait, Il était surtout pathétique après le passage des ricains... mon père !


Dire que les retrouvailles furent joyeuses ça serait se bourrer le mou !
Mon père ne cachait pas que revenir en France, reprendre son travail de cantonnier, s’occuper d’une femme et d’un gosse ne l’enchantait pas.
En Allemagne, il avait travaillé dans un château ou un truc comme ça, comme régisseur, pour une comtesse ou une baronne emballée par ses airs à la Tino Rossi, durant plus de 4 ans.
Je n’ai pas mis longtemps à comprendre que l’avance des russes l’avaient un peu forcé à se mettre en marche vers l’ouest avec sa Greta de la haute et que les américains la lui avait piquée avant de le mettre quasi de force dans le premier train pour Paris.
Envolé ses espoirs de devenir le Baron Machin en Prusse Orientale.
Moi, je voulais qu’il nous cause de 40, de sa campagne.
Je croyais, plus jeune, qu’il avait sans doute mis hors de combat la moitié de la Wehrmacht avant de se faire faire aux pattes.
Bah non.
Il se vantait de pas avoir vu un allemand avant sa capture du côté de Lille.


Plus je l’écoutais et le regardais et plus je savais que je serais GI.
C’est Raymond FORT, un jeune du maquis de la Brosse, qui avait collé aux basques des ricains en 44, qui a été le déclencheur.
Il est revenu au village fin 45, en tenue US et en jeep !
L’était pas bégueule le Raymond, ses 20 piges, ses galons de sous bite et son bel uniforme l’empêchaient pas de nous causer à nous, les gosses.
Il n’était pas GI (2) mais bien officier français, volontaire pour les parachutistes, les Chocs comme on disait alors, un truc nouveau pour nous, et en instance de départ pour l’Indochine.
Après le maquis et la poursuite des allemands jusqu’en Autriche, comme il avait un bac et qu’il aimait la bagarre, l’armée avait décidé de l’amalgamer.
Le terme était à la mode, fallait que les libérés, les résistants et les attentistes soient amalgamés pour former la nouvelle armée française.
Raymond, lui, il avait fait une école à Arcachon et une autre en Alsace pour devenir un officier et un commando.
Là ça m’a ouvert des perspectives.
Surtout quand on a su qu’il avait levé la Jeanine BAUDRIER en une seule soirée au bal ambulant.
On pouvait donc être troufion français, paras, bien sapé, sortir avec Jeanine et partir faire la guerre dans un pays exotique loin de chez DUFLOT et de mon père ?!
J’ai serré les dents, fermé ma gueule et repris mes livres de comptes.
Provisoirement, bien sûr, c’était entendu avec moi-même.


Le temps est passé, pas mon rêve de partir en Indochine.
En 1950, j’ai dit au revoir à DUFLOT, qui regrettait mon départ vu qu’il me voyait bien chef comptable et que sa fille semblait avoir quelques faiblesses pour moi et à mon père qui a signé l’autorisation d’engagement sans regrets, trop content de rester le seul beau gosse du village.
Je me suis retrouvé seconde pompe dans la Coloniale (3).
Bon, c’était plus l’armée de 45 et de Raymond, l’euphorie de la Libération était déjà loin, mais ce n’était pas non plus Courteline et 40.
Si les taulards libérés d’Allemagne avaient repris du poil de la bête et le commandement depuis la libé, il restait de baths tenues, des cadres décorés comme des généraux russes, des places à prendre dans les bataillons de paras colos et une guerre à faire en Indochine qui n’attirait pas les foules.
Au début, ça m’a changé du bureau de mon pinardier, j’ai en bavé mais j’étais jeune, volontaire et têtu, des vertus guerrières en fait.


J’ai embarqué à Mers El Kébir, en aout 1951, comme renfort individuel, spécialité comptabilité, mais avec la ferme intention de ne plus me laisser enfermer dans un bureau.
Mon rafiot s’appelait le « Général Mann », un transport de troupes mis à la disposition des français par les ricains...encore mon côté GI !
Un monde incroyable que ce bateau pour le petit paysan du Loiret que j’étais encore.
On y croisait toutes l’Europe centrale en plus des italiens et des allemands, sans compter les tirailleurs ainsi que quelques femmes d’officiers rejoignant leurs maris, des planteurs, des fonctionnaires, des employés de Michelin et des BGI (4) mais aussi quelques gentilles AFAT (5) aventureuses.
Le Canal de Suez et des légionnaires allemands qui désertent à la nage, une tempête, quelques gentilles AFAT séduite par ma belle gueule, un flirt avec l’épouse d’un colonel et les parties de cartes avec les légionnaires m’ont permis de ne pas voir ce mois de croisière offert par l’armée tourner à l’ennui.


Puis ce fut le premier contact avec l’Indochine, la foule, les odeurs, le Camp PETRUSKY, immense centre de tri des isolés et renfort individuel à SAIGON.
C’est là que j’ai retrouvé Raymond qui faisait, en quelques sortes, son marché.
Lieutenant plein et toujours aussi peu bégueule, il commandait un maquis en Haute-Région, adorait sa guerre et venait tenter de trouver quelques cadres blancs pour compléter son effectif ainsi qu’un peu de piastre et divers babioles.
On a fêté nos retrouvailles.
Il m’a fait découvrir la ville, les soupes chinoises, les fumeries, les clandés, les corses et les chinois intermédiaires indispensables à toutes les transactions qu’il devait faire à SAIGON.
Puis Raymond m’a embarqué d’autorité avec lui, dans son maquis, qui bien entendu avait besoin d’un comptable depuis que les corses avaient un peu arrangé les registres de PETRUSKY.
Entre coups de mains, opérations, administration civile, coups durs et dégagements, 1953 est vite arrivé et notre fin de séjour aussi.


Quitter nos thaïs, rentrer en France, retrouver une garnison ne nous enchantaient pas.
A HANOI, dans un bar ou nous attendions notre rapatriement, des gars du 6éme BCP (6) de BIGEARD (7), en alerte aéroportée, nous ont proposé la botte :
Une compagnie de chez eux cherchait un chef, c’était pour Raymond qui inaugurait ses galons de capitaine et pour moi, puisque je veux en être, une radio, un brevet et des galons de caporal.
Ils avaient besoin de monde, le bataillon serait rapatrié avant 54 et s’arrangeait avec l’administration.

3On a dit oui sans beaucoup hésiter.
Quelques mois de rabio avant le grand saut vers la France, c’était toujours ça de gagné.
Puis aller se bagarrer avec les gars de Bruno (Cool c’était un peu comme pédaler avec Louison BOBET (9)!


Et voilà.
Maintenant je suis assis dans ce taxi, je vais faire mon premier saut ops sur un bled nommé DIEN BIEN PHU (10), j’ai vérifié dix fois mon équipement et, objectivement, j’ai peur.
- « Ca va Laurent ? »
- « Ca roule mon capitaine ! »
- « Si les filles du village nous voyaient ! »
- « Sur ! »



« REPOSEZ.......Armes....repooos »
J’ai obéi aux commandements du juteux par réflexe mais j’étais loin de ce bled et de ce cimetière ou ce 11 novembre 1986, notre détachement air sert de pots de fleurs à la cérémonie officielle.
J’étais loin parce que je suis tombé sur cette photo durant la minute de silence, ce petit oval au pied du monument au mort.
Un gosse, de mon âge, y sourit de toutes ces dents, l’ancre au calot.
Il devait être particulièrement beau.
Qu’est qu’il foutait là-bas ?
Le caporal MAGINEL fut porté disparu le 6 mai 1954 à DIEN BIEN PHU.
Dans son village du Loiret, sur le monument aux morts, son nom figure à la rubrique Indochine, juste sous celui du Capitaine Raymond FORT.


Notes :
1 – PPF / PARTI POPULAIRE FRANÇAIS : parti fasciste et collaborationniste 1936-1945
2- GI : désigne le soldat américain pour Government Issue (comme pour le matériel militaire)
3- La Coloniale : ancêtre des actuelles Troupes de Marines. Ses régiments et bataillons étaient destinés à servir hors France Métropolitaine par opposition aux troupes métropolitaines.
4- Michelin et BGI : les deux principaux investisseurs et employeurs de l’Indochine Française.
Michelin dans les plantations pour le latex et BGI, Brasseries Générales d’Indochine dans la boisson.
Etrangement, sur le navire de Laurent, il n’y avait aucun personnel de la Banque d’Indochine, futur Indosuez.
5- AFAT : Auxiliaire Féminin de l’Armée de Terre : on y trouvait des secrétaires, des plieuses de parachutes, des spécialistes des communications...jeunes femmes souvent issues de la Résistances qui ne se résignaient pas à la vie offerte en France à la femme des années 50.
6- BPC : Bataillon de Chasseur Parachutistes.
7- Marcel BIGEARD , général français, 1916-2010, a commencé sa carrière seconde classe dans un régiment de forteresse en 1940, était Chef de Bataillon en 1953 et aurait sans doute fini Prince ou Duc sous Napoléon 1er mais s’est brulé les ailes au soleil d’Alger.
8- Bruno : indicatif radio de BIGEARD. Les chefs de bataillon paras étaient souvent appelés par leurs indicatifs.
9- Louison BOBET : 1925-1983, plus champion cycliste de tous les temps (avant le dopage)
10- Dien Bien Phu, ville du Nord Vietnam célèbre ou s’affrontèrent durant 53 jours les troupes françaises et les celles du Vietminh.
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Message  Admin Ven 21 Déc - 12:19

Bonjour Laurent,

Un très beau texte, empli d'émotion et qui remue les tripes. Félicitations pour ta plume remarquable.
Une seule remarque, c'est le 6ème BPC et non BCP : Bataillon de Parachutistes Coloniaux du commandant Bigeard.

cordialement,
Antoine.

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Message  Lirelou Ven 21 Déc - 13:14

Embarassed Merci.

Bien pour BPC ! J'suis impardonable.
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